Femmes élues : le combat pour l’égalité

Dès mon arrivée au CCRE, je me vis confier la responsabilité de la Commission des élues locales et régionales que quelques femmes d’exception, engagées dans la vie politique locale et européenne, avaient mise en place. C’était le début d’un travail qui devait se poursuivre jusqu’au lancement de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes et de son Observatoire.

Le CCRE est aujourd’hui l’une des organisations européennes les plus engagées en faveur de l’égalité des femmes et des hommes et le fait qu’il soit présidé par une femme, Anne-Marie Jorritsma[1], en est un symbole important.

 

Quelques femmes visionnaires furent à l’origine de cette action du CCRE visant à encourager l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale et en premier lieu leur participation à la vie politique. Elles étaient guidées par Fausta Giani Cecchini [2]. Fausta fut maire de Pise et successivement Présidente de la Province. Engagée en politique dès son plus jeune âge, elle avait participé à la lutte contre le fascisme en tant que « partigiana » et devint ensuite une fervente fédéraliste européenne, au sein de la section italienne du CCRE. Elle remarqua rapidement qu’aux réunions du CCRE il n’y avait pas beaucoup de femmes. En 1983 elle convoqua à Pise ses collègues élues locales et régionales pour une conférence européenne.

 

D’autres conférences suivirent : Anvers en 1986 et St Jacques de Compostelle en 1988, grâce à la volonté de la secrétaire générale du CCRE de l’époque, Elisabeth Gateau, avec l’appui de la Commission Européenne. La Commission permanente des élues locales et régionales du CCRE fut instituée en 1991.

 

En 1992 ce fut la Conférence d’Heidelberg. Elisabeth Gateau me demanda de rédiger l’avant - projet de déclaration finale de la conférence. C’était la veille du Traité de Maastricht qui devait reconnaitre le principe de subsidiarité et mettre en place le Comité des Régions. Les débats furent très animés, notamment entre les « fédéralistes » et les défenseurs de l’Europe des Etats.

 

C’est à cette occasion que je fis la connaissance de beaucoup de ces femmes extraordinaires qui ont joué un rôle primordial dans le mouvement des « femmes élues » du CCRE : Fausta Giani Cecchini tout d’abord, ensuite la maire de Heidelberg Beate Weber, Doreen Fleming et Joséphine Farrington[3], Antoinette Pecher[4], les amies italiennes Maria Teresa Coppo Gavazzi et Patrizia Dini, et beaucoup d’autres, que je ne pourrai malheureusement toutes rappeler dans cet article.

 

C’est avec Fausta Giani Cecchini et Doreen Fleming que je devais partager de missions inoubliables en Europe centrale et orientale dans ces début des années ‘90 où nous organisâmes beaucoup de séminaire de formation sur les programmes européens et la question de l’égalité. La première de ces réunions fut accueillie par un maire polonais, dans sa ville de Cieszyn, qui s’engagea dans le CCRE avec un grand esprit européen : Jan Olbrycht [5].

 

En 1995 le CCRE organisa à Dublin la Vème conférence européenne des élues locales et régionales avec la participation pour la première fois de nombreuses femmes d’Europe centrale et orientale. Ce fut un grand bonheur (un effort aussi !) de rassembler environ 600 femmes élues et représentantes des autorités locales et régionales et des institutions de 32 pays dans le magnifique château de Dublin, où la cérémonie fut ouverte par la Présidente de la République d’Irlande Mary Robinson et le Président du CCRE de l’époque, l’ancien maire de Barcelone, Pasqual Maragall. Ce succès était également dû au soutien que l’on avait réussi à obtenir de la Commission Européenne (par plusieurs DG et à travers différents programmes communautaires), dont le témoignage fut apporté par le Commissaire Padraig Flynn.

 

Josephine Farrington proposa à cette Conférence la résolution demandant le respect de l’égalité au sein du Comité des Régions qui venait d’être mis en place. Une position que la Commission devait continuer à défendre par la suite.

 

J’ai déjà mentionné les principales initiatrices de l’aventure du CCRE en faveur de l’égalité; j’en mentionnerai d’autres. Mais deux femmes ont eu un rôle crucial : Fausta Deshormes et Françoise Gaspard.

 

Fausta Deshormes [6] nous a malheureusement quittés. C’est avec elle que je fis la connaissance des arcanes de la Commission Européenne et des couloirs du Berlaymont (où siégeait la Commission à l’époque) et que je fus appelée à monter les premiers dossiers pour les demandes des subventions (en ECU !).

 

Un jour, en 1996, je reçu l’appel de Françoise Gaspard[7], que j’avais connue à Dublin, se disant convaincue que le réseau européen lancé par le CCRE à cette occasion pouvait représenter un formidable outil pour la diffusion et les échanges d’informations entre les élues locales et régionales en Europe. Aussi devrai-je concevoir rapidement un projet avec, comme très souvent au CCRE, toute l’équipe au travail.

 

Le projet, qui reçut le soutien de la CE dans la cadre du IV programme d’action communautaire pour l’égalité des chances, était pluriannuel (de 1996 à 2000) et nous permit d’animer ce réseau à travers une lettre d’information, des séminaires de mobilisation et sensibilisation à l’égalité à la veille des élections locales et une étude sur la participation des femmes à la vie politique locales dans les pays membres de l’Union Européenne.

 

C’est à cette période que remonte la rencontre avec d’autres actrices de l’action du CCRE pour l’égalité : Rosemary McKenna[8], Joan Taylor[9], Edite Estrela[10]qui assumèrent successivement la présidence de la Commission des élues après Fausta Giani Cecchini et continuèrent son action pour voir reconnu le principe d’égalité femmes/hommes dans les instances du CCRE.

 

Vicenta Bosch Palanca[11], qui succèda à Edite Estrela à la présidence de la Commission traduisit les revendications de ces femmes en une phrase devenue célèbre :

 

 

Avec ces paroles elle sut enivrer une assemblée de femmes venues du monde entier à la Conférence des Nations Unies Pekin +5 qui se tint à New York, en 2000. Cette réunion inoubliable, organisée grâce à l'initiative d’IULA et où je coordonnai la contribution européenne, représenta un premier grand succès pour les pouvoirs locaux à l’ONU car nous réussîmes à voir insérées dans la déclaration finale la reconnaissance de la place du niveau local dans l’amélioration de la condition des femmes.

 

Il nous fallait maintenant un outil concret pour soutenir les autorités locales dans cette démarche. La première étape fut la conception virtuelle de « la ville pour l’égalité » ; une publication rassemblant les bonnes pratiques pouvant inspirer d’autres villes dans la mise en place de politiques locales pour l’égalité. Nous réalisâmes ce travail encore une fois dans le cadre d’un projet européen et avec l’aide d’un jeune stagiaire dédié à la cause des femmes, qui devint un collaborateur fidèle : Guilherme !

 

Le succès de la publication prouva l’intérêt des villes pour cette nouvelle thématique reconnue désormais comme centrale dans le débat démocratique. Je voulus partager avec la présidente et le nouveau secrétaire général du CCRE, (arrivé en 2002), Jeremy Smith, une idée, au premier abord utopique, pour encourager les communes à s’engager politiquement pour l’égalité : la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale.

 

Ainsi débutait l’extraordinaire chemin de la Charte du CCRE, qui n’aurait pu voir le jour sans le soutien financier de la Commission européenne qui permit d’organiser d’interminables réunions, séminaires et conférences dans plusieurs pays d’Europe pour se mettre d’accord sur son contenu précis.

 

Mais la Charte n’aurait pu voir le jour non plus sans la participation active des associations nationales du CCRE, ses élus et responsables du secteur, unis par un formidable enthousiasme, sans la force de volonté et le charisme de Vicenta, ni (et surtout) sans l’appui inconditionnel et l’énergie intellectuelle de Jeremy Smith. Combien de soirées (après une journée de travail dédiée à autre chose car l’égalité ne constituait pas toujours la priorité dans le programme de travail surchargé du CCRE!) et de discussions (toujours passionnantes !) avec Jeremy sur le moindre détail et amendement à tel et tel article de la Charte !

 

Lancée aux Etats Généraux de Innsbruck en 2006, la Charte attira tout de suite un énorme intérêt. En 2008, lors de la Conférence qui célébrait les 25 ans de l’action du CCRE pour l’égalité, plus de 500 signataires de la Charte se rassemblèrent dans le magnifique Teatre Verdi de Pise. Nous étions face à un succès allant au-delà de nos attentes et des moyens possibles pour le CCRE, car les villes demandaient à être aidée dans le processus d’application et de son évaluation.

 

Dans cette phase de consolidation de la Charte, où se concrétisait la lutte pour l’égalité  au sein des instances du CCRE, deux autres femmes ont joué un rôle primordial : Jocelyne Bougeard [12]et Ewa Samuelson[13], qui étaient soutenues fortement par leurs associations nationales respectives, la section française et la section suédoise du CCRE.

 

C’est grâce à l’Association des Pouvoirs Locaux Suédoise et surtout à son Président Anders Knape que nous mettions en place, en 2010, l’Observatoire de la Charte, avec le soutien du gouvernement suédois, voué à faciliter le transfert des expériences et des bonnes pratiques entre les signataires et à permettre, dans un deuxième temps, l’évaluation de la Charte. Une parlementaire européenne allemande, Franziska Brantner, montra un grand intérêt pour la Charte, qu’elle considéra comme un instrument très novateur et fut ainsi à l’origine du projet concernant son évaluation et la mise en place des indicateurs que le CCRE mène actuellement avec le soutien de la Commission et du PE.

 

Plus de 1500 autorités locales et régionales européennes ont signé la Charte à ce jour.
(Je vous invite à visiter le site: www.charter-equality.eu).

 

Je suis probablement immodeste mais je considère cette action du CCRE m’appartenant un peu, comme elle appartient à ce groupe de femmes (et quelques hommes) du CCRE qui pendant longtemps ont cru à la justesse de ce combat. Cet immense travail a pu être mené comme toujours grâce à l’appui de collègues généreux du CCRE et aux secrétaires généraux successifs avec qui j’ai eu l’immense privilège de travailler : Elisabeth Gateau, Jeremy Smith et Frédéric Vallier, très engagés dans ce combat. Et évidemment grâce à la contribution des représentants élus et des associations du CCRE impliquées dans cette lutte (certaines plus que d’autres).

 

Avec ces collègues et ami(e)s j’ai eu la possibilité de tisser un cadre de travail basé sur la complicité, le partage de valeurs humaines et professionnelles. Une atmosphère de travail très motivante qui a porté ses fruits au niveau européen, mais qui a eu un impact important vers le reste du monde aussi.

 

C’est Anne Hidalgo qui a cru à la charte de l’égalité du CCRE et l’a promue au sein de la Ville de Paris, lorsque elle était encore adjointe au Maire Bertrand Delanoë, et qui voulut, en 2013, organiser à Paris la Conférence mondiale des femmes élues. Le succès de cette Conférence, organisée par la Ville de Paris avec CGLU et le CCRE, reporta la question de l’égalité au centre de l’agenda de l’organisation mondiale et s’est traduit par la mise en place de la Commission pour l’égalité au sein de CGLU.

 

Depuis toujours IULA d’abord et CGLU ensuite se sont engagés en faveur de l’égalité notamment grâce aux efforts de ma collègue et amie du secrétariat de Barcelone, Emilia Saiz. Mais, comme au CCRE, l’engagement constituait un principe difficile à transposer dans la réalité par manque de moyens financiers et humains.

 

Aujourd’hui les temps sont mûrs pour que l’égalité constitue un thème de travail à part entière et que nos organisations s’engagent de facto.

 

Les statuts de CGLU, comme ceux du CCRE, reconnaissent désormais le principe d’un quota de représentation de femmes dans les instances décisionnelles. Plusieurs textes et programmes de l’Union Européenne et d’autres organisations internationales placent le thème de la situation des femmes au centre des politiques de développement et considèrent l’égalité femmes/hommes, notamment dans la prise de décision, comme un principe fondamentale pour la bonne gouvernance.

 

La Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale du CCRE constitue un outil unique et peut être source d’inspiration pour des projets et des actions dans les autres parties du monde.

 

Depuis plus de 20 ans je suis engagée et je travaille pour l’égalité des femmes et des hommes en Europe ; je souhaite continuer à travailler pour cette cause car j’estime que combattre pour les droits des femmes signifie combattre pour les plus faibles et contribuer à la justice, au développement et à la démocratie dans le monde.

 

[1] Anne-Marie Jorritsma, Maire de Almere et Présidente du VNG, l’association des municipalités néerlandaise, est Président du CCRE depuis décembre 2014.

 

[2] Fausta Giani Cecchini fut présidente de la Commission des élues locales et régionales du CCRE de 1991 (date de sa creation) à 1995.

 

[3] Doreen Fleming et Josephine Farrington, appartenant l’une au parti conservateur et l’autre au parti labouriste, étaient malgré des appartenances politiques différentes, inséparables dans leur lutte pour la cause des femmes et la démocratie locale.

 

[4] Conseillère Municipale d’Anvers, Antoinette Pecher avait voulu accueillir la deuxième conférence européenne dans sa ville. Très engagée dans la Commission du CCRE pendant toutes ces années.

 

[5] Jan Olbrycht, Maire de Cieszyn (Pologne) de 1990 à 1998, très engagé dans la lutte pour la démocratie locale ainsi que la construction européenne, fut élu au Parlement Européen en 2004 et en est aujourd’hui vice-président. Il a été vice-président du CCRE de 1995 à 2001.

 

[6] Fausta Deshormes, qui intégra la Commission Européenne à l’époque de l’Europe des Six, fut à l’origine de la politique en faveur des femmes et créa en 1977 le bulletin « Femmes d’Europe ». Elle dirigea l’Unité Information Femmes. Elle dut nommée Directrice honoraire de la Commission en 1992. Ayant soutenu l’engagement du CCRE en faveur de l’égalité dès ses débuts, j’ai été honorée de son amitié et de sa présence jusqu’à sa disparition, survenue en février 2013.

 

[7] Francoise Gaspard, maire socialiste de Dreux (France) de 1977 à 1983, a été députée de 1981 à 1988 et également députée européenne. Elle a également été membre du réseau « femmes dans la prise de décision » de la Commission Europenne, ensuite représentante de la France à la Commission de la condition de la femme de l’Onu, puis experte du Comité Cedaw des Nations Unies. Ce sont les étapes fondamentales d’une vie dédiée à la lutte pour l’égalité des femmes et des hommes. Elle participa à la première conférence de Pise en 1983. Nous lui devons beaucoup, le CCRE et moi-même surtout, car j’ai bénéficié de son soutien constant et de son amitié précieuse.

 

[8] Rosemary McKenna, Conseillère locale du District de Cumbernauld and Kilsyth (Ecosse) de 1974 à 1994, devint membre du Parlement Britannique (en 1997) et puis du Parlement Ecossais. Elle fut présidente de la Commission élues du CCRE de 1995 à 1997.

 

[9] Joan Taylor, Conseillère du Comté de Nottinghamshire, fut présidente de la Commission élues du CCRE de 1997 à 1999.

 

[10] Edite Estrela, Maire de Sintra, au Portugal, fut présidente de la Commission élues de 1999 à 2002. Elle a été membre du Parlement européen de 2004 à 2014.

 

[11] Vicenta Bosch Palanca, Maire de Bonrepos i Mirambell fut présidente de la Commission élues du CCRE de 2002 à 2008.

 

[12] Jocelyne Bougeard, maire adjointe de la Ville de Rennes (France) a été présidente de la Commission élues locales et régionales du CCRE de 2008 à 2012.

 

[13] Ewa Samuelson, maire adjointe de Stockholm, est présidente de la Commission des élues depuis 2012.