Migrations et Intégration dans les villes d’Europe

Aux cours de ces dernières années, j’ai mené l’évaluation des projets EPIC et SHAPE, mis en œuvre par ALDA, l’Association Européenne de la Démocratie Locale (www.alda-europe.eu), dans le cadre du programme AMIF de l'UE.
Le programme AMIF, l’instrument de financement des politiques européennes en matière de migration et d’asile, dispose de 9,9 milliards d’Euros pour la période 2021-2027 et poursuit 4 objectifs : i) renforcer et développer tous les aspects d’un régime d’asile commun en Europe, ii) soutenir la migration légale vers les Etats membres, iii) promouvoir des stratégies de retour équitables et efficaces dans les Etats membres, iv) accroitre la solidarité et le partage des responsabilités entre les Etats membres.
Tout d’abord voici quelques données sur les migrations en Europe aujourd’hui. Au premier janvier 2023, sur 448,4 millions d’habitants, l’Union Européenne comptait 27,3 millions de citoyens non Européens, soit 6% de la population. Une grande partie de ces non-nationaux réside en Allemagne (12,3 million) ; l’Italie, la France et l’Espagne en enregistrent chacune de 5 à 6 millions. Pour ce qui est des demandeurs d’asile, 1 142 618 demandes ont été déposées en 2023 dans les pays de l’UE ; la grande majorité a été faite en Allemagne (29%) ; puis en France (15%), en Espagne (14%), en Italie (12%). La plupart des demandeurs d’asile viennent de Syrie (16%), d’Afghanistan (10%), de Turquie (9%), du Venezuela (6%) et de Colombie (6%) (1) .
Le niveau local a un rôle clef dans l’intégration des migrants, dans l’organisation de leur vie quotidienne, que ce soit pour l’accès au logement, pour l’éducation des enfants, pour l’accès au marché du travail, l’accueil et l’intégration des femmes, etc. C’est dans ce contexte qu’ALDA a lancé ces deux projets financés par le programme AMIF.
Le projet EPIC - la plateforme Européenne pour l’intégration dans les villes –, mis en œuvre pendant la période 2020-2023, avait pour objectif de toucher aux défis de l’intégration dans les villes moyennes : le logement, le marché du travail, les politiques d’intégration, y compris les modèles de narratives. Son objectif était de favoriser l’échange d’expertise et d’expérience sur ces sujets et d’élargir ces expériences à d’autres villes européennes.
Le partenariat du projet, outre à ALDA, était composé de 6 collectivités territoriales et 7 associations de la Société Civile. Pour les villes : la Municipalité de Brescia (Italie), la Municipalité de Ioannina (Grèce), la Municipalité de Amadora (Portugal), la Municipalité de Oberhausen (Allemagne), la Municipalité de Sisak (Croatie), l’Aire Métropolitaine de Gdansk (Pologne). Pour les associations de la société civile : l’Association Zavidovici (Italie), Symbiosis (Grèce), Jesuit Refugee Service au Portugal, Jesuit Refugee Service en Croatie, Kitev (Allemagne), Solidaridad sin Fronteras (Municipalité de Alcorcon, Espagne), Cooperazione Studio e Progetto 2 représentant la Regione Sardegna. Enfin l’University College de Londres et l’Association Européenne pour l’Information sur le Développement Local étaient des partenaires transversaux du projet.
Le projet venait d’être lancé lorsque la crise sanitaire du Covid a commencé et les actions ont dû être menées pour la plupart pendant la pandémie. Grâce à l’intérêt et les efforts d’ALDA et de tous les partenaires, le projet a pu être mis en œuvre, en adaptant les actions aux règles en vigueur pendant la pandémie (télétravail, rencontres à distances, échanges online, etc.). Plus tard la guerre en Ukraine a eu aussi des conséquences importantes sur la vie du projet, en impactant les politiques et les priorités de plusieurs partenaires, par exemple en Pologne et en Allemagne. Malgré ces difficultés le projet a obtenu des résultats tangibles pour les partenaires et les villes partenaires, avec des actions de soutien aux migrants remarquables– je veux citer l’exemple du Centre d’Accueil dédié aux migrants d’Amadora, organisé grâce à la collaboration avec le Jesuit Refugee Service que nous avons pu visiter lors d’une réunion sur place. Une expérience politique, sociale et humaine importante, où les mots solidarité, communauté et appartenance, prennent une signification concrète. Il y en aurait d’autres que nous ne pourrons pas tous évoquer ici.
Le projet SHAPE (Sharing Actions for Participation and Empowerment of Migrant communities and Local Authorities), a été financé également par le programme AMIF de l’UE et mis en œuvre par ALDA de début 2022 au printemps 2024. Le projet avait pour objectif de promouvoir et renforcer la participation des migrants à la conception et à la mise en œuvre des politiques d’intégration au niveau local, national et européen. Il prévoyait la participation de représentants de 3 pays frontaliers (Italie, Hongrie et Croatie), où l’opinion semble particulièrement négative vis-à-vis des migrants et les représentants de deux pays menant des politiques plus avancées à ce sujet, le Portugal et l’Allemagne.
Aux côté d’ALDA en tant que Leader du projet, les autres partenaires du projet SHAPE étaient :
- 2 Municipalités : la Ville de Stuttgart (Allemagne) et la Municipalité de Lousada (Portugal) ;
- 4 Associations de la société civile travaillant avec les migrants : We World (Italie), RightChallenge (Portugal), le Jesuit Refugee Service (Croatie), Artemisszio (Hongrie) ;
- 2 grandes organisations fédérant des associations de migrants : Laka (Allemagne) et CONNGI (Italie).
Ma mission d’évaluatrice extérieure m’a amené à travailler surtout avec l’équipe d’ALDA, qui dans son rôle de Leader du projet était responsable de la coordination des activités prévues. Je tiens à remercier tous les collaborateurs et collaboratrices d’ALDA pour leur coopération, leur disponibilité et leur confiance au cours de l’évaluation. Mais j’ai eu également le plaisir d’écouter, analyser et évaluer le travail des partenaires. Je tiens à féliciter ces actrices et ces acteurs de terrain pour leur travail quotidien en soutien des droits humains et de la démocratie locale et pour leurs actions révélatrices d’un véritable engagement en faveur de l’intégration des migrants.

A l’heure où la plupart des populations des pays européens semblent manifester le sentiment d’une immigration trop importante, les projets menés dans le cadre du programme AMIF et soutenant la promotion du niveau local dans l’intégration des immigrés, comme les projets EPIC et SHAPE portés par ALDA ou Inclucities porté par le CCRE, etc. sont plus que jamais importants.
Ce sentiment « de submersion » si souvent évoqué de nos jours est en réalité basé sur une réelle méconnaissance de la réalité des flux migratoires en Europe (surestimation de l’immigration légale, méconnaissance des motifs de demande de visa, etc.), outre l’ignorance de la situation dans les pays de provenance. Dans une Europe en plein déclin démographique, notamment dans les pays du sud de l’Europe, l’immigration devrait de fait être perçue comme un atout, même si elle pose des défis, et les autorités locales peuvent jouer un rôle primordial en aidant les immigrés à avoir un meilleur accès à l’emploi, à la langue, à l’éducation, à la vie sociale et culturelle.
Les deux projets d’ALDA ont témoigné des efforts de beaucoup de villes dans ce sens. L’Union Européenne doit continuer à valoriser et soutenir ces actions locales en faveur de l’intégration. Les Etats devraient s’en inspirer, à l’heure où, au contraire, l’on assiste à des politiques de plus en plus restrictives. La coopération des villes et des municipalités avec le monde associatif dont les projets EPIC et SHAPE ont apporté l’exemple est aussi, dans ce contexte, très intéressante, car elle se pose l’objectif du renforcement de la gouvernance locale et de l’efficacité de l’accueil.
Le vent qui souffle en Europe aujourd’hui est très inquiétant. La haine et la peur, le repli sur soi et l’individualisme ne sont jamais positifs, comme l’histoire nous le montre. Les autorités locales, qui sont le niveau institutionnel le plus proches des citoyens, doivent continuer à soutenir et travailler avec la société civile pour porter et renforcer les valeurs fondatrices de l’Union Européenne. Les projets EPIC et SHAPE sont des exemples concrets dans cette perspective. Pour cette raison j’ai été heureuse d’y apporter ma contribution et je serai toujours disponible à le faire, lorsqu’il s’agira de défendre les valeurs de l’Union Européenne.
1 . Source des données: Toute l'Europe, mise à jour d'avril 2024